Actualités de Maître Emeline Gayet Avocate généraliste de Grenoble - Isère

L’ABSENCE DE RELATIONS SEXUELLES COMME FONDEMENT DE LA FAUTE POUR PRONONCER UN DIVORCE

*VERS LA FIN DU DEVOIR CONJUGAL ?

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L’article 215 du Code Civil dispose que : « Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie ».

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Cette notion en abrite alors une autre : le devoir conjugal, qui peut s’entendre comme une communauté de lit.

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Le devoir conjugal a pourtant été proscrit par la CEDH dans un arrêt CR et SW contre Royaume-Uni du 22 novembre 1995.

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Par la suite, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait alors aboli cette notion de devoir conjugal. Cependant, ce concept persiste au-devant des juridictions civiles, justifiant le prononcé d’un divorce aux torts exclusifs de l’époux qui ne souhaite plus avoir de relations sexuelles avec son conjoint.

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En effet, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence avait, par un arrêt du 3 mai 2011 (n°2011-292), prononcé un divorce aux torts exclusifs du mari en raison de l’absence de relations sexuelles au sein du couple pendant de nombreuses années. Les juges indiquaient alors que : « Les rapports sexuels entre époux sont notamment l’expression de l’affection qu’ils se portent mutuellement tandis qu’ils s’inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage ».

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Le devoir conjugal avait donc une réelle substance dans les contentieux relatifs au divorce pour faute, malgré son apparente abolition.

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Un tel raisonnement fut réitéré par la Cour d’Appel de Versailles par un arrêt du 7 novembre 2019, prononçant à nouveau un divorce aux torts exclusifs de l’épouse en raison de son « refus de relations intimes avec son mari », les juges rejetant les raisons médicales que cette dernière alléguait. La requérante avait ensuite saisi la Cour de Cassation, qui s’était contentée de rejeter son pourvoi le 17 septembre 2020, n’énonçant aucun motif.

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En 2021, l’épouse, accompagnée de deux associations (Collectif féministe contre le viol et la Fondation des femmes) a saisi la CEDH afin de voir la France condamnée et d’abolir définitivement cette notion de devoir conjugal.

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Cette jurisprudence française peut être mise en opposition avec un récent arrêt de la plus haute juridiction portugaise qui témoigne d’une position beaucoup plus moderne.

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Le 14 janvier 2021, le « Supremo Tribunal de Justiça » a condamné un homme à verser 60 000 euros à son ex-conjointe, en raison du fait que celui-ci n’avait, au cours des 30 années de vie commune, jamais aidé son épouse dans les tâches domestiques.

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La Juridiction indiquait alors « Il est impossible de considérer que, dans une maison où vit un couple non marié, l'accomplissement de la totalité ou d'une grande partie des travaux domestiques par un seul des partenaires corresponde à l'accomplissement d'une obligation naturelle fondée sur un devoir de justice. Le devoir de justice exige au contraire une répartition des tâches aussi égalitaire que possible (...) dans la logique d'une spécialisation des contributions de chacun »

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« Lorsque le travail domestique est réalisé exclusivement ou principalement par l’un des membres du couple, et ce sans compensation, il en résulte un appauvrissement réel de cette personne, et, inversement, un enrichissement automatique du membre du couple qui se voit ainsi libéré par l’autre des travaux domestiques, car cette libération lui permet de bénéficier du résultat de ce travail gratuitement »

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Si l’argumentation du Tribunal se centre davantage sur les raisons économiques de cette solution, cet arrêt, qui est le premier à franchir le pas en Europe, pourrait tout de même avoir un écho retentissant au sein des juridictions des pays voisins.

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